Oliver White.

Il devait être dans les environs de dix heures du matin. Je n' étais pas de bonne humeur. Mes parents avaient laissé la cuisine en plan, comme tous les samedis matins. Je crois vraiment qu' ils sont plus enfantins que moi. Ne me demandez pas comment est-ce possible. Bref, je devais aller chez un psy. Cela pouvait paraître étrange quand on me voyait, toujours souriant et disposé à rendre service. Mais au fond, je pétais les plombs et j' avais vraiment besoin de parler a quelqu' un qui saurait m' écouter. Mon entourage ne savait pas le faire. J' avais fait le chemin tout en réfléchissant, ça paraissait moins long. Une hôtesse d' accueil habillée dans un tailleur bleu marine saillant me salua. J' eu envie de lui dire que le bleu ne se faisait plus cet hiver mais elle l' aurait sans doute mal pris. Ca se voyait à ses lèvres pincés et l' immonde vert turquoise qu' elle avait mis sur ses yeux. Elle me montra la porte de la salle d' attente. Elle devait vraiment me prendre pour un con, c' était marqué dessus en grosses lettres rouges. Je la regarda amusé un bref instant. Elle parut choquée. Bien fait pour elle. Dans la salle où je devais attendre, c' était très glauque. Un pauvre type se balançait sur lui même pendant qu' une femme à côté de lui parlait à son chien comme si c' était son fils. Vraiment effrayant. Heureusement, ses gens étaient arrivés très en avance et j' étais le premier à passer devant le docteur. Quand il ouvrit la porte et qu' il prononça mon nom, White, je levai le nez. Il était impressionnant. Vous savez, ce genre de gars taillés comme des catcheurs mais habillés en costard. A priori, il ne donnait pas vraiment envie de se confier, pour un psy. Pourtant, sa voix était douce et engageante. Quand j' entrai dans son cabinet, la chose qui me frappa le plus fut sans doute le modernisme de la pièce. C' était très joli, à tel point que je dû attendre qu' il me de dise de m' asseoir pour le faire, de peur d' installer mon postérieur sur une chaise " oeuvre d' art ". Il me regarda un instant, comprenant directement ce qui m' amenait. Mon regarde me trahissait souvent. Il était dur, les gens qui me connaissaient me le disaient sans arrêt. Ca me mettait à bout.

- « On va se tutoyer, d' accord ? Bien. Comment t' appelles-tu ? Je dois remplir une fiche sur toi. »

Je lui donnai mon nom et mon prénom. Oliver White. Il acquiesça et l' inscrivit dans sa paperasse. Je ne comprenais pas vraiment en quoi me tutoyer ou noter mon prénom sur une fiche formatée pour chaque patient allait m' aider. Il me demanda ensuite ma date de naissance. De mieux en mieux. Mon sourcil se haussa. Je n' arrivais pas à me débarrasser de ce tic que j' avais quand j' était interloqué. Je répondis machinalement que j' étais né un treize janvier et j' avais 18 ans. A lui de faire le calcule. Il rétorqua en riant qu' il n' était pas mathématicien. Sa façon de me remettre à ma place me plaisait.

- « Je sais pourquoi tu viens me voir. Tu m' as l' air renfermé sur toi-même. Mais ton cas n' est pas aussi désespéré que les gens que tu as vu dans la salle d' attente ne t'en fais pas. Comment sont tes parents avec toi ? »

Un sourire se dessina sur mon visage à ses deux premières phrases. Il était évident que mon problème était ridicule par rapport à ceux des deux autres. Pourtant, je ne cessais de me dire que j' avais tout autant qu' eux le droit de parler à quelqu' un.

- « Et bien, si je devais vous décrire la façon dont je vois ma mère, ça serait une tétine à la bouche, habillée d' un body. A la maison, je fais tout. Mon père est pareil. Ils sont un peu punk dans le style, je crois qu' ils l' étaient dans leur jeunesse et que c'est comme ça qu' ils se sont rencontrés. Tout ce que je sais, c'est que ma mère m' a eu très jeune, à 17 ans. Heureusement, mon père n' est pas parti. Elle est fragile, ça aurait été un réel traumatisme. Ils n' ont jamais pris le temps de parler avec moi. Pour eux, le rôle des parents, c'est de nourrir et donner de l' argent, le reste est sans intérêt. C' est étrange car la plupart des parents pensent inversement. Mes copains me jalousent, ne comprennent pas de quoi je me plains. Ah, j' allais oublier leur métier. Mon père est tatoueur à Soho et ma mère écrivain. Ils planent un peu... »

- « Tu parlais de tes amis. Ils ne t' écoutent pas, eux ? »

Il fallait que je sois sincère. Je crois que c' est très difficile. Se retrouver seul à seul avec soi-même, ça fait directement réfléchir. Je soupirai. Sa question m' avait un peu fait mal. Il l' avait senti. Ma main était dans la sienne, posées sur le burau. Le contraste de nos deux mains étaient incroyable. La mienne était toute blanche, les ongles un peu longs. On aurait pu croire que c' était celle d' une fille de deux ou trois ans de moins que moi. La sienne était énorme, un peu bronzée, il devait avoir des origines mexicaines. Sa main aurait pu facilement prendre ma tête en entier. Il me faisait un peu peur, ce mec. Notre rencontre était irréelle. On se serait cru dans un chapitre de Alice au pays des merveilles. Nous étions deux parfaits opposés.

- « D' une oreille inattentive. Quand on se voit, on est toujours dans un état lamentable. Vous savez la réputation de la jeunesse londonienne : Toujours arrachée. Cette règle est à appliquer pour moi aussi. Les rares fois où nous nous voyons en étant sobres, nous faisons du shopping ou buvons un verre. Je suis quelqu' un d' assez effacé et je n' ose pas imposer mes idées. »

Je lâcha sa main, jugeant ce geste vraiment bizarre. Malgré tout, il avait réussi à me mettre en confiance et ma langue se déliait au fur et à mesure de ses questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres.

- « Tu devrais, tu sembles avoir une grande personnalité. Tu as un travail ? »

- « Je suis styliste. Il n' y a que quand je dessine que ma personnalité se révèle. J' ai apporté mon carnet, vous voulez voir ? »

L' homme acquiesça. Je sortis mon moleskine, ma fierté. Je l' avait depuis deux ou trois ans. Il fallait dire que j' étais lent et perfectionniste. Je noircissais chaque page consciencieusement. C' était l' un de mes objets préférés. Je lui tendis et il se mit directement à regarder mes dessins, puis moi, tour à tour. Il poussa des " oh " et des " waw ". Mon psy était donc aussi taré que moi. Et surtout très familier.

- « Maintenant, j' en suis sûr, il faut vraiment que tu te réveilles. Et vite. »

The end.